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Lettre ouverte du 22 août 1988

Bujumbura, le 22 août 1988 
 
«Excellence Monsieur le Président, 
Nous venons porter à votre connaissance la prise de position des hutu sur les événements qui sont en train de se dérouler au Burundi depuis le début du mois d'août. Nous nous attarderons ici à relever les contradictions que masque l'information officielle, légitimant ce que nous croyons être un nouveau «Plan Simbananiye» (génocide 1972). Certains d'entre nous avaient bien voulu l'exprimer samedi au cours des réunions du parti; mais comme les interventions étaient manifestement programmées à l'avance dans l'intention de consacrer l'attitude extrémiste tutsi dirigée en faveur d'un plan d'extermination qui transparaissait si clairement dans les idées et surtout dans la note finale dans toutes les localités de la capitale, nous nous trouvons dans l'obligation de résumer notre réaction à travers cette lettre ouverte, et nous osons espérer que vous y réserverez une bonne suite. Nous savons d'avance que ceci peut susciter des conséquences, puisque votre entourage risque d'y voir une justification des répressions que nous sentons venir: la radio vient de l'annoncer par des termes révélateurs, comme ceux entendus depuis dimanche, trahissant le principe même de la transparence que le régime évoque, et que le gouvernement vient de réaffirmer, alors que des hutu sont déjà massacrés sans procès. 
Avant d'entrer dans le vif de la question, nous demandons déjà à la Communauté internationale, en particulier les missions diplomatiques accréditées à Bujumbura, de suivre de près la situation. Nous tendons la main aux pays voisins, à l'O.U.A., aux organismes du système des Nations Unies, à la Communauté internationale ainsi qu'aux différents organismes humanitaires... de suivre l'évolution des événements et d'intervenir si besoin pour éviter un massacre qui n'est plus caché. 
Excellence Monsieur le Président, 
Point n'est besoin de détailler le caractère préoccupant de la situation socio-économique difficile qui produit ce triste résultat. Les inégalités et les injustices sociales sont une réalité qui semble être cautionnée par le pouvoir en place dans le pays, en dépit des contestations incessantes des esprits progressistes et des promesses du discours politique. Il apparaît bien que les positions acquises depuis plus de vingt ans par la classe dirigeante doivent être sauvegardées, et tous les moyens sont devenus bons à cette fin. Le pouvoir reste régional, clanique et surtout tribal. Or, malheureusement, le Burundi, petit et pauvre, rend difficile le partage du gâteau qui s'amenuise de jour en jour. Cela n'est même plus possible à l'intérieur du groupe des dirigeants au pouvoir fussent-ils d'une même ethnie ou d'une même région. Lorsque cette contradiction, aujourd'hui matérialisée par l'enlisement des dossiers des anciens dignitaires du régime Bagaza coupables de crimes de haute trahison ou de détournements, entraîne une guerre froide entre les membres de l'ethnie dirigeante, il se trouve toujours un moyen de chercher les raisons ailleurs et de désigner des cibles. Comme en 1972, après le procès surprise des hommes de Muramvya, la communauté hutu devient «l'ennemi de la Nation»; il faut la décapiter pour rétablir le dialogue tutsi menacé d'éclatement. 
Le discours officiel se trouve, cependant, vite contredit par les faits. 
1. Dans les événements de Marangara et Ntega, on parle de réfugiés hutu qui auraient entraîné d'autres à l'intérieur du pays à prendre des machettes et des lances pour massacrer les tutsi. Mais cela fait maintenant plus d'une semaine qu'on connaît les coupables, mais on n'a pas encore dit qui ils sont, comment ils s'appellent, d'où ils sont venus, les noms de ceux qui les aident, etc. Alors qu'on annonce l'ouverture prochaine des procès dans la transparence, on apprend en même temps l'exécution sommaire des intellectuels hutu et on couvre la nouvelle de beaucoup de secrets alors que le mensonge surgit à la face du monde. Qui sera, par exemple, capable de montrer devant les barres Côme Bibonimana, ancien député, et depuis longtemps poursuivi pour avoir dénoncé les statistiques tribales du ministère de l'Éducation et qui vient d'être exécuté avec beaucoup d'autres? 
2. On a vite conclu à une rébellion paysanne inspirée par des intellectuels hutu. Or d'après des informations convergentes, les événements qui ont commencé à Marangara au milieu de la première semaine du mois ont une grande explication qu'on n'a jamais dite à travers l'information diffusée par le pouvoir. On signale en effet la présence des militaires du 4ème Bataillon de Ngozi en manoeuvres dans la localité sans avoir prévenu la population, erreur qui a été notée par les paysans lors d'une «campagne de pacification» et qui a été reconnue par un chef militaire qui a parlé d'un ordre reçu «du haut». Cela se passait plus de dix jours avant le début des massacres. L'histoire dira comment les événements ont dégénéré en conflits sanglants, se déplaçant de Marangara à Ntega pour finalement gagner les communes environnantes. L'information officielle le cache, mais il est sûr que l'avenir le démontrera. 
3. Officiellement, on apprend depuis mercredi que le calme est revenu et que la situation est maîtrisée, mais le gouvernement instaure en même temps un couvre-feu sur tout le territoire national en priant la population de ne croire qu'à l'information de la Radio nationale. Et quand la presse internationale le dément, on reconnaît qu'il y a encore quelques affrontements! Oui, l'armée a provoqué des tensions; oui, la même armée a amené la répression dans les campagnes. Des camions ont évacué les familles tutsi de la région vers Ngozi pour les sécuriser, pendant que des blindés, appuyés par des hélicoptères s'attaquaient aux hutu. Les survivants sont parvenus à fuir vers le Rwanda, et il est curieux d'entendre que les hutu exterminent les tutsi et se comptent en même temps en grand nombre parmi les réfugiés! 
4. Comment expliquer que les militaires aient refusé d'intervenir au début desdits massacres alors que leur premier devoir est d'arrêter rapidement tout danger en empêchant toute progression? Il a fallu attendre quelques jours pour faire croire à la paix alors que les engins militaires se mettaient à l'action. Cette abstention nous semble être une légitimation de l'agression pour rééditer la répression de 1972. Un montage donc? Encore une fois, l'histoire le dira. 
Excellence Monsieur le Président, 
Dans cette situation, il est normal que la population soit maintenant sur le qui-vive et reste traumatisée par l'imminence d'un nouveau génocide. La presse nationale sait de quoi il s'agit quand elle dit que les «coupables directement ou indirectement liés» aux événements seront «sévèrement punis». Celui qui est né hutu, l'intellectuel en l'occurrence, ne se fait plus aucune illusion. Il semble que l'Armée tutsi veuille réussir ce que le ministère de l'Éducation voulait réaliser dans les écoles secondaires et à l'Université. C'est la scène qu'on a vue tout au long de la dernière année scolaire. Et c'est une bonne similitude de situation. En effet, on n'a pas encore oublié que les élèves et les étudiants tutsi ont participé à une campagne d'intimidation au niveau national. Les coupables sont connus. Les dossiers sont là. Mais, paradoxalement, ce sont les hutu, forcés de quitter les écoles, sous la menace des couteaux comme ce fut le cas à l'École Technique Secondaire d'art de Kamenge et des fusils à l'Université. De la même façon, le hutu va faire les frais des massacres actuels. Pourtant, quelques éléments tutsi progressistes et modérés ont souligné dans les réunions du Parti que le problème fondamental du Burundi actuel était essentiellement d'ordre politique et fondé sur les inégalités sociales; ils ont attiré l'attention du public que la classe dirigeante pourrait être plus responsable que d'autres dans cette affaire. 
Excellence Monsieur le Président, 
Nous aimons la paix. Contrairement à ce que l'aile extrémiste tutsi pourrait vous faire croire, seul moyen de maintenir sa place dans l'arène du pouvoir, en perpétrant un génocide, nul hutu sensé ne rêve d'exterminer les tutsi. Bien au contraire! D'autant qu'il existe d'ailleurs des tutsi prêts à construire le pays avec les hutu, l'obstacle étant l'absence de dialogue. Maintenant, la situation dépasse la limite du tolérable. 
C'est pourquoi, Excellence Monsieur le Président, si vous visez l'objectif d'une paix durable au Burundi, nous vous proposons les quelques solutions suivantes: 
1. Suspendre les massacres et les arrestations arbitraires des hutu. 
2. Désigner avant la fin de cette semaine une Commission nationale multiethnique et représentative chargée d'analyser sans complaisance les mesures structurelles qui s'imposent pour éviter le pire. Nous recommandons qu'on y adjoigne des observateurs extérieurs pour garantir la neutralité de la commission. 
3. Voir dans quelle mesure les hutu peuvent être associés à la Défense et à la Direction politique de leur patrie. 
Veuillez agréer, Excellence Monsieur le Président, l'assurance de notre considération très distinguée.» 
 
Suivent les noms et prénoms des 27 signataires
 
 
 

 

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Modifié en dernier lieu le 5.09.2009
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